Nyame : Le créateur suprême et l’architecte du monde dans la cosmologie Akan
Dans les terres verdoyantes du Ghana et de la Côte d’Ivoire, où la civilisation Akan a fleuri pendant des siècles, résonne le nom sacré de Nyame (également connu sous le nom de Onyame ou Onyankopon). Plus qu’une simple divinité, Nyame représente le concept fondamental de la création et de l’ordre cosmique dans une des traditions spirituelles les plus riches d’Afrique de l’Ouest.
La nature transcendante de Nyame : entre ciel et terre
Selon la tradition orale Akan, Nyame est le Créateur Suprême, l’architecte omnipotent de l’univers. Contrairement à de nombreuses divinités africaines qui ont des origines humaines, Nyame est perçu comme ayant toujours existé. Les Akans le considèrent comme un être omniprésent, omniscient et omnipotent qui réside dans les cieux mais dont l’influence s’étend sur toute la création.
Les récits mythologiques Akan, transmis par des générations de conteurs et de prêtres, dépeignent Nyame comme une entité à la fois distante et intimement liée au monde des humains. Cette dualité se reflète dans le proverbe Akan : « Obi nkyere akwadaa Nyame » (Personne n’a besoin de montrer Dieu à un enfant), suggérant que la connaissance de Nyame est innée et universelle.
La création du monde et l’origine de la civilisation
La cosmogonie Akan raconte que Nyame créa d’abord le ciel, puis la terre, et enfin les humains. Selon certains récits compilés par l’anthropologue R.S. Rattray dans « Ashanti » (1923), Nyame façonna les premiers humains à partir de l’argile, leur insufflant la vie avec son souffle divin, un concept que les linguistes ont retrouvé dans l’étymologie même du mot « kra » (âme) qui évoque l’idée de souffle vital.
Un aspect fascinant de cette mythologie est l’histoire de la séparation entre le ciel et la terre. À l’origine, Nyame vivait proche des humains, mais suite à une série d’incidents où les humains le dérangeaient constamment (une vieille femme frappant le ciel avec son pilon lors qu’elle pilait le fufu, selon certains récits), il décida de se retirer dans les hauteurs célestes. Cette distance cosmique explique pourquoi les humains doivent désormais faire appel à des intermédiaires spirituels pour communiquer avec le divin.
Le système de croyances et la morale Akan
Ce qui distingue particulièrement la conception de Nyame, c’est son rôle de gardien de l’ordre moral. Dans la pensée Akan, Nyame a établi les fondements éthiques de la société humaine. Le concept de « Nyamedua » (l’arbre de Dieu), un arbuste rituel planté dans les cours des maisons Akan, symbolise la présence constante de Nyame et sert de rappel quotidien des valeurs morales qu’il représente.
Les Akans attribuent à Nyame l’origine du système social et politique qui structure leur société. L’historien ghanéen Kofi Asare Opoku, dans « West African Traditional Religion » (1978), explique comment la légitimité des chefs traditionnels (Omanhene ou Asantehene) dérive directement de Nyame, par l’intermédiaire du « Sika Dwa » (Trône d’Or), symbole sacré du pouvoir royal chez les Ashantis.
La justice dans ce système n’est jamais perçue comme purement séculière. Toute transgression est considérée comme une offense à l’ordre établi par Nyame, ce qui explique pourquoi les serments traditionnels sont pris sur des objets sacrés liés à sa puissance, comme le souligne l’anthropologue Meyer Fortes dans « Oedipus and Job in West African Religion » (1959).
Nyame et les abosom : l’architecture divine Akan
Contrairement à certaines traditions monothéistes, Nyame n’opère pas seul. La cosmologie Akan présente un panthéon élaboré où Nyame délègue différents aspects de son autorité à des divinités intermédiaires appelées « abosom » (singulier : obosom). Ces entités, souvent associées à des éléments naturels comme les rivières, les montagnes ou les forêts, agissent comme des émissaires de Nyame dans le monde physique.
Cette structure hiérarchique reflète l’organisation sociale Akan elle-même, avec des chefs à différents niveaux, tous ultimement subordonnés à l’Asantehene dans le cas du royaume Ashanti. Comme l’explique Kwame Gyekye dans « African Cultural Values » (1996), cette correspondance entre ordre cosmique et ordre social est fondamentale pour comprendre la vision Akan du monde.
Parmi ces abosom, certains occupent des positions particulièrement importantes, comme Asase Yaa (la Terre), considérée comme l’épouse de Nyame, ou Tano, divinité puissante des rivières. Ces divinités intermédiaires facilitent la communication entre les humains et Nyame, qui reste toujours la source ultime de toute autorité spirituelle.
La diaspora et l’évolution du concept de Nyame
La conception de Nyame a traversé l’Atlantique avec la diaspora africaine pendant la traite négrière. Dans les Caraïbes et aux Amériques, les concepts spirituels Akan ont fusionné avec d’autres traditions africaines et les croyances chrétiennes imposées, créant de nouvelles expressions religieuses. L’historienne Sylvia Ardyn Boone, dans « Radiance from the Waters » (1986), documente comment les idées Akan concernant Nyame ont influencé des religions comme le Vaudou haïtien ou les traditions spirituelles jamaïcaines.
Au Suriname, par exemple, la communauté des Marrons Ndyuka, descendant en partie d’esclaves Akan, maintient une conception du divin fortement inspirée de Nyame, bien que transformée par les circonstances historiques. L’anthropologue Richard Price, dans « First-Time » (1983), montre comment ces croyances ont servi de fondement identitaire et de résistance culturelle face à l’oppression.
Nyame aujourd’hui : renaissance et pertinence contemporaine
Aujourd’hui, le concept de Nyame connaît un renouveau significatif, tant au Ghana qu’au sein de la diaspora africaine mondiale. Des mouvements de revalorisation culturelle comme le Sankofa encouragent un retour aux valeurs spirituelles traditionnelles, où Nyame occupe une place centrale. Des artistes contemporains comme El Anatsui ou Kwame Akoto-Bamfo incorporent des symboles liés à Nyame dans leurs œuvres, témoignant de sa pertinence continue.
Dans le contexte des défis environnementaux actuels, certains penseurs africains suggèrent que la conception Akan de Nyame et de sa création offre des perspectives précieuses pour repenser notre relation avec la nature. L’éthique environnementale Akan, fondée sur le respect de la création de Nyame, propose une alternative aux approches purement utilitaristes de l’environnement.
Conclusion : Une sagesse ancestrale pour le monde contemporain
Nyame représente bien plus qu’une simple divinité créatrice. Sa conception dans la pensée Akan nous offre un système philosophique cohérent qui intègre cosmologie, éthique sociale et organisation politique. Comme le souligne le philosophe ghanéen Kwasi Wiredu dans « Cultural Universals and Particulars » (1996), ces traditions spirituelles africaines peuvent contribuer de manière significative aux dialogues philosophiques et éthiques mondiaux.
Que vous soyez passionné par les religions comparées, l’histoire africaine ou simplement en quête de perspectives différentes sur l’existence humaine, l’exploration de la conception Akan de Nyame révèle la profondeur et la sophistication des traditions spirituelles africaines, démontrant leur pertinence continue dans notre monde globalisé.